28 ans, marié, amoureuse, en santé, un enfant merveilleux, j’ai tout ce dont j’ai toujours rêvé. Pourtant, le matin quand je me regarde dans le miroir, j’ai encore cette pensée malsaine qu’un jour viendra où je serai maître de mon corps et donc, de mon bonheur. Et si ce n’était pas ça la clé du bonheur? Et si on m’avait menti durant les 20 dernières années. J’avais 8 ans lorsqu’on m’a traité pour la première fois de « grosse ». Dans la cour de récré de mon école primaire, cette journée-là, j’ai perdu mon innocence face à mon corps qui pour moi, n’était qu’une simple enveloppe de ma personnalité coloré. Ce corps que je passais des heures à admirer, brosse à cheveux à la main dans ma meilleure imitation des Spicegirls. Ce corps qui me servait à faire tous les sports que j’aimais tant. Cette journée-là, mon corps est devenu mon pire ennemi. J’ai commencé à attribuer tous mes malheurs à ma morphologie. À partir de ce jour, le sport n’était plus aussi amusant, pas parce que je n’étais pas suffisamment performante, mais bien parce que j’avais pris conscience du regard des autres. Le maillot de bain ne couvrait plus suffisamment mon gras, mon équipement de ski devait être de la même grandeur que ma coéquipière au risque de ne pas respirer dedans, courir au soccer n’était plus une option par peur que les gens remarquent que mon poids me ralentissait, je n’avais plus aucune grâce sur la glace, les maillots moulant et les collants n’avaient plus leur place sur moi. J’ai voulu tout abandonner. C’est aussi à cet âge que j’ai eu mes premiers signes de puberté. Mon entourage m’avait tellement vanté cette fameuse puberté « tu vas voir, quand la puberté va arriver tu vas allonger et perdre ton gras de bébé ». J’attends toujours aujourd’hui ses effets sur moi.
C’est quelques années plus tard que j’ai commencé à vouloir me changer. Le rejet, la solitude, les moqueries envahissaient toute ma
vie, je ne voyais plus la lumière. À mes yeux, mon poids dictait ma valeur. Je me haïssais. J’ai commencé à me dénigrer ouvertement pour me protéger. J’allais être maître de mes propres insultes pour être moins blessé par celles des autres, enfin, c’est ce que je croyais. Heureusement, j’étais bien entouré et aimé, mais trop souvent, par peur de blesser ou par honte, j’ai tout gardé cette souffrance sous silence.
J’ai tenté de perdre du poids à mainte et mainte reprise. Malgré tellement de volonté et d’efforts, jamais je n’ai réussi à obtenir les résultats souhaités. À l’âge de 10 ans, ce n’est pas normal d’avoir peur de manger un morceau de gâteau à l’anniversaire d’une amie, par peur que le tout « aille directement dans tes fesses ». La relation avec la nourriture et mon corps était devenu un constant combat.
Plus tard je me suis dirigé dans un domaine d’étude et de carrière où le succès est basé sur oui, le talent, mais aussi beaucoup sur l’image, le physique, etc. Je suis chanteuse d’opéra. Je porte des robes élégantes, je chante devant un publique ou des juges qui décident de mon sort en quelques minutes seulement. Il m’est arrivé de ne pas m’inscrire à une audition par peur que mon « casting » ne plaise pas. J’ai parfois ressentit qu’avant même d’avoir fait ma première note, mon apparence avait chanté à ma place.

J’ai laissé mon poids dicter mes fais et gestes et mes pensées toute ma vie.
À 22 ans j’ai rencontré l’homme de mes rêves, celui qui m’a aimée au premier regard. Celui qui me fessait sentir belle comme j’étais, au moment présent, sans connaître ce que j’étais avant ou visualiser ce que je pourrais devenir « si j’étais mince ». À 25 ans viens la demande en mariage et le désir de fonder notre famille. J’ai décidé pour la « millième » fois de ma vie de m’inscrire dans un programme d’entraînement. 2000$, cinq fois semaines au gym. On me pesait toutes les semaines et je devais peser et calculer tout ce que je mangeais c’était devenue une obsession. J’étais terrifié de la pesé, par peur de décevoir, encore et toujours. Les résultats étaient fulgurants, selon les gens, je « fondais » à vue d’oeil, moi je voyais aucun changement, mais je souriais. Les gens me valorisaient enfin pour mon apparence! Par contre, personne ne savait qu’avant chaque pesé, je m’assurais d’éliminer tout dans me corps pour avoir les meilleurs résultats possibles. On valorisait ma perte de poids sans savoir réellement la vérité en arrière des résultats car je projetais la « santé », enfin, ce que la société projète de la santé!
Aujourd’hui, je suis maman d’un merveilleux petit garçon de deux ans. Je suis tombée enceinte pendant mon processus de perte de poids, un mois avant mon mariage. Due à des complications lors de mon accouchement, j’ai eu beaucoup de mal à bouger pendant plusieurs mois après celui-ci. Mon corps a énormément changé et certaines personnes pensent que j’ai effacé tous mes si beaux efforts de l’époque de ma transformation.
Ma prise de poids, mon sentiments de ne pas être une maman suffisante, mes paroles de haine envers moi-même étaient devenue beaucoup trop fortes. J’ai dû me rendre à l’évidence que ce mode de vie malsain que j’ai entretenu pendant toutes ses années ne devait pas se transmettre à mon fils. « J’ai tout pour être heureuse, j’aime tout de ma vie sauf… moi » ce sont les paroles exactes que j’ai dit à mon médecin. C’était dur à admettre, mais c’était la vérité. Pourquoi? Parce que toute ma vie, j’ai attendu d’être mince pour être heureuse. Tous mes accomplissements ont passé inaperçus par ma fixation de mon poids. Toute ma vie, on m’a convaincu que pour être en santé, devais figurer un chiffre exacte sur la balance.
Je vous mentirais si je disais que j’aime mon reflet dans le miroir tous les jours, mais j’apprends. Je vous mentirais aussi si je vous disais que la perte de poids n’est plus dans mes pensées au quotidien. Par contre, je m’engage à vivre dans la bienveillance de ma personne au moment présent. Apprendre à aimer la femme que je suis, ici, là, maintenant et demain. Bouger parce que ça me rend heureuse et non pour atteindre un objectif dans le but de plaire à l’autre. J’essaie de voir l’entraînement comme un allié a mon bienêtre physique et mentale et non comme un devoir ou une punition.
J’apprends à accepter chaque petit bonheur et à être heureuse au moment présent dans le corps qui me sert tous les jours à faire rire mon fils, à aimer les gens qui m’entourent d’un amour et d’une dévotion rarissime, parce que oui, je suis intense et quand j’aime, j’aime GROS! Et si on apprenait à nos enfants à s’aimer avant tout?
Texte écrit par Ève Dessureault